Dans les méandres de l’histoire de la pensée scientifique, se cachent parfois des figures oubliées, des esprits visionnaires dont les idées, bien en avance sur leur temps, ont été étouffées par l’ombre de leurs contemporains plus célèbres. C’est le cas de Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon, un aristocrate français du XVIIIe siècle dont les contributions à notre compréhension de l’évolution et de la nature ont été injustement sous-estimées.
Alors que le monde se penchait sur les écrits de Charles Darwin et son célèbre ouvrage “De l’origine des espèces”, peu de personnes étaient au courant que, près d’un siècle auparavant, Buffon avait déjà esquissé les contours de l’évolution des espèces. Darwin lui-même, étonné par la similitude entre ses propres idées et celles de Buffon, a reconnu dans ses éditions ultérieures l’importance des contributions précurseures du naturaliste français.
Buffon, dans son monumental ouvrage “Histoire Naturelle”, avait déjà avancé l’idée audacieuse que les espèces changent et évoluent avec le temps, bien avant que le terme “évolution” ne soit même inventé. De plus, il avait anticipé la notion d’extinction des espèces, une idée révolutionnaire à une époque où la plupart des savants croyaient que chaque espèce était immuable et éternelle. Mais Buffon n’a jamais compris comment ce changement d’espèce se produisait réellement : c’est Darwin, et sa théorie de la sélection naturelle, co-développée avec Alfred Russel Wallace, qui ont éclairé le processus.
Mais Buffon n’était pas seulement un théoricien. Il était aussi un praticien de la science, utilisant sa fortune considérable pour transformer son parc en un véritable laboratoire écologique, où il observait attentivement la nature dans son environnement naturel. Il a été le premier à étudier les interactions entre les différentes espèces, anticipant ainsi les idées fondatrices de l’écologie moderne. Buffon a également fait des observations sur la reproduction qui ont anticipé la découverte ultérieure de l’ADN. Il a suggéré l’existence d’un mécanisme interne de formation, affirmant que la vie fonctionne à un niveau cellulaire organique et suit une sorte de recette ou de “moule interne” lors de la reproduction, permettant ainsi l’assemblage des blocs de construction cellulaires en un type spécifique d’organisme.
Au lieu d’utiliser le terme “évolution”, Buffon utilisait le terme “dégénérescence” pour désigner un processus naturel “en dehors du processus de reproduction régulier” qui entraînait des changements chez une espèce. Le terme n’avait pas de connotations négatives à l’époque. Malgré ses contributions pionnières, Buffon a été largement méconnu de son vivant. Ses idées radicales sur l’évolution et l’extinction des espèces ont été critiquées et même censurées par les autorités religieuses de l’époque. Il a dû publiquement renier ses propres théories pour éviter les accusations d’hérésie.
Aujourd’hui, alors que nous regardons en arrière et que nous reconnaissons l’importance de ses idées, il est temps de réhabiliter la mémoire de Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon. Son travail visionnaire a jeté les bases de la biologie moderne et nous rappelle que les grandes idées peuvent parfois émerger des endroits les moins attendus
Lecture recommandé :
Every Living Thing – The Great and Deadly Race to Know All Life – Jason Roberts
Dans ce roman, Jason Roberts tisse un récit épique et inoubliable, explorant les vies et héritages entrelacés de Linnaeus et Buffon, ainsi que les aventures révolutionnaires, souvent fatales, de leurs adeptes, pour retracer une trajectoire d’illumination et de découverte s’étendant sur trois siècles jusqu’à nos jours. Un récit palpitant d’une rivalité séculaire.
Par Xavier Amigo